BAPTISTE MÉNARD

Épisode 1 - Lectures estivales | François Hollande, Le défi de gouverner, Éditions Perrin, 2025

Une auberge espagnole
 
Le dernier livre de François Hollande, Le défi de gouverner, a quelque chose d’une « auberge espagnole » : chacun y trouvera – ou non – ce qu’il y apporte. Selon sa génération d’abord : les militants qui ont vécu le congrès d’Épinay ou le 10 mai 1981 ne liront pas ces pages comme ceux qui sont entrés plus tard en politique. Mais aussi selon le regard qu’ils portent sur le quinquennat de François Hollande, ou leur sentiment quant à son avenir politique.
 
Certains liront l’ouvrage comme une histoire de la gauche depuis la fin du XIXᵉ siècle – même si l’auteur ne se prétend pas historien. Hollande affirme d’entrée : « La fidélité à son histoire est le premier garant de la pérennité social-démocrate. » Une histoire qu’il relit sous deux angles croisés :
•l’existence persistante de « deux gauches » – l’une réformiste et ouverte, l’autre plus étatiste et rigide – qui doivent, selon lui, coexister dans le même parti en acceptant le compromis ;
•le rapport au pouvoir, déjà étudié par Alain Bergounioux et Gérard Grunberg (Le long remords du pouvoir, le Parti socialiste 1905-1992).
 
L’histoire de la gauche
 
Pour Hollande, tout commence avec l’affaire Dreyfus et le choix de Jaurès d’accepter la participation de socialistes à un gouvernement « bourgeois ». Il rappelle la célèbre conférence des « deux méthodes » (Lille, 1900), où s’opposent Guesde et Jaurès : les deux gauches apparaissent déjà. Longtemps, pourtant, les socialistes refuseront de « participer », y compris en 1924 lorsqu’ils se limiteront à un « soutien sans participation » au Cartel des gauches – comme le PCF le fera plus tard avec le Front populaire, que Hollande qualifie de « mythe à l’épreuve ».
 
Il n’hésite pas à bousculer d’autres mythes : « Le réformisme consiste à utiliser le temps pour transformer durablement et profondément l’ordre des choses. Les réformes de structures supposent des étapes et des compromis, pas des coups d’éclat ni des feux de paille. Et gouverner, c’est choisir. On ne choisit pas les épreuves : elles s’imposent. »
 
De même, s’il admire Pierre Mendès France, il constate : « La morale n’est pas une politique. Mais une politique sans morale est tôt ou tard condamnée. » À ses yeux, Mendès n’a jamais construit l’organisation partisane qu’avait su forger François Mitterrand. Ses larmes, le 10 mai 1981, trahissaient sans doute le regret de n’avoir pas su, ou pas pu, être au rendez-vous de l’Histoire.
 
Hollande dénonce cette tentation récurrente d’une gauche qui préfère ne pas gouverner pour préserver sa pureté, plutôt que d’assumer la charge et les compromis du pouvoir.
 
À propos de Guy Mollet, il regrette la « tragédie » algérienne mais aussi le refus des socialistes d’adopter le modèle social-démocrate de leurs voisins européens, se privant ainsi d’une modernisation décisive. Mollet, écrit-il, fut un « chef par défaut » : non pas un homme au-dessus du parti, mais l’homme du parti. Hollande, pourtant sévère avec lui, partage au fond ce même attachement viscéral à l’organisation comme instrument nécessaire de la gauche.
 
De François Mitterrand…
 
Même Mitterrand, qu’Hollande admire, n’échappe pas à son regard lucide. Il rappelle son double objectif : construire une alliance avec le PCF tout en absorbant progressivement son électorat. Le congrès d’Épinay, souvent célébré comme un moment fondateur, apparaît chez Hollande davantage comme un coup politique habile qu’un tournant doctrinal – tenu à quelques discours ou intrigues près (moins de 2000 voix de militants).
 
En 1981, note-t-il, les socialistes disposent de la durée, mais agissent comme si le temps leur était compté. D’où une frénésie réformatrice, même si certaines mesures symboliques, comme l’abolition de la peine de mort, justifiaient la rapidité. Hollande avoue s’être inspiré de cet exemple pour inscrire rapidement, dès 2013, la loi sur le mariage pour tous.
 
Mais pour lui, le véritable moment fondateur reste le « tournant » de 1983 : choisir de rester dans l’Europe au prix de la rigueur. Une fracture qui pèse encore aujourd’hui, la gauche radicale prétendant y revenir.
 
Il revient aussi sur le deuxième septennat : la « fausse continuité », les débats sur le voile, le calamiteux congrès de Rennes, l’émergence d’une « génération Mitterrand » plus opportuniste que fidèle. Et il déplore que le congrès de l’Arche (1991) n’ait pas tranché clairement en faveur de la social-démocratie.
 
Mitterrand, enfin, rappelait en 1995 : « Le nationalisme, c’est la guerre ! » Une formule qui résonne tragiquement aujourd’hui.
 
… à Lionel Jospin
 
Hollande rappelle l’élimination de Jospin en 2002, après des divisions mortifères. « Il aurait suffi que 10 % des électeurs de Chevènement, Taubira ou Hue votent Jospin pour qu’il soit qualifié. » Le 21 avril fut un accident, mais révélateur : la gauche peine à assumer la social-démocratie, se disperse dans la radicalité et reste mal à l’aise avec la question de l’autorité.
 
… et à François Hollande
 
On pouvait craindre que le livre sombre dans l’autojustification : il n’en est rien. Hollande rappelle les conditions difficiles de sa candidature, après l’affaire DSK. Il juge sévèrement les primaires : « Elles signent la fin des partis politiques puisqu’elles privent les militants du choix de leur chef. »
 
Il assume son fameux « mon ennemi, c’est la finance », tout en reconnaissant que le débat sur la déchéance de nationalité fut une erreur : « On ne légifère pas dans l’émotion. »
 
Son amertume reste palpable, vis-à-vis des « frondeurs » et d’Emmanuel Macron, accusé d’avoir préparé de longue date son coup. Quant à la NUPES, il la décrit comme une « aumône » consentie par LFI aux socialistes survivants, au prix d’une humiliation durable.
 
Conclusion
 
Le défi de gouverner se termine néanmoins sur une note d’espérance :
« L’Histoire est au service de l’avenir. À condition que rien ne soit oublié et que tout reste à inventer. »